Textes et citations

Alors bien sûr, il y a Ausone, inévitablement.

Ausone, Ordo urbium nobilium, XIV :

Burdigala est natale solum, clementia caeli

mitis ubi et riguae larga indulgentia terrae,

uer longum brumaeque nouo cum sole tepentes

aestifluique amnes, quorum iuga uitea subter

feruent aequoreos imitata fluenta meatus.

Quadrua murorum species, sic turribus altis

ardua, ut aerias intrent fastigia nubes.

Distinctas in terna uias mirere, domorum

dispositum et latas nomen seruare plateas,

tum respondentes directa in compita portas

per mediumque urbis fontani fluminis alueum,

quem pater Oceanus refluo cum impleuerit aestu,

adlabi totum spectabis classibus aequor.

Burdigala est le lieu qui m’a vu naître : Burdigala où le ciel est clément et doux ; où le sol, que l’humidité féconde, prodigue ses largesses ; où sont les longs printemps, les rapides hivers, et les coteaux chargés de feuillage. Son fleuve qui bouillonne imite le reflux des mers. L’enceinte carrée de ses murailles élève si haut ses tours superbes, que leurs sommets aériens percent les nues. On admire au dedans les rues qui se croisent, l’alignement des maisons, et la largeur des places fidèles à leur nom ; puis les portes qui répondent en droite ligne aux carrefours, et, au milieu de la ville, le lit d’un fleuve alimenté par des fontaines ; lorsque l’Océan, père des eaux, l’emplit du reflux de ses ondes, on voit la mer tout entière qui s’avance avec ses flottes.

(traduction E.-F. Corpet, Panckoucke, 1843)

Ausone que vous pouvez télécharger sur Gallica ici: http://visualiseur.bnf.fr/CadresFenetre?O=NUMM-23649&M=telecharger

Mais il y a aussi l’extraordinaire récit de voyage de Victor Hugo, qui s’attarde à Bordeaux en se rendant dans les Pyrénées. Texte disponible dans une édition illustrée sur Gallica http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k103019r . De nombreuses éditions plus ou moins complètes (citons Victor Hugo – Œuvres complètes – « Voyages » – Collection Bouquins – Éditions Robert Laffont, Paris, octobre 1987, et celle du Voyage vers les Pyrénées, aux éditions OXUS, ISBN-13: 978-2848980706).

Stendhal tombe amoureux de Bordeaux en 1838, ce que l’on retrouve dans son Voyage dans le midi de la France (Sollers, autre amoureux de la ville, le rappelait dans ce billet: http://bibliobs.nouvelobs.com/la-guerre-du-gout-par-philippe-sollers/20100928.BIB5676/stendhal-chez-moi-par-philippe-sollers.html ).«Ce qui frappe le plus le voyageur qui arrive de Paris, c’est la finesse des traits, et surtout la beauté des sourcils des femmes de Bordeaux.Ici la finesse est naturelle ; les physionomies ont l’air délicat et fi er sans le vouloir. Comme en Italie les femmes ont, sans le vouloir, ce beau sérieux dont il serait si doux de les faire sortir.»

Les éditions Pimientos ont publié des extraits de récits de voyage à Bordeaux, où l’on retrouve la plupart des textes évoqués ici. http://www.mollat.com/livres/voyage-bordeaux-9782912789068.html

Le jeune Schopenhauer était venu en 1804, et avait dû rédiger le récit de son séjour, en dialogue avec sa mère. ( Journal de Voyage. (Traduction Didier Raymond. Mercure de France), et plus spécifiquement les Souvenirs d’un voyage à Bordeaux en 1804, publiés aux éditions de la Presqu’île).  » La ville proprement dite se trouve derrière le quai et consiste (excepter deux larges avenues très belles) uniquement en ruelles tortueuses, étroites et sales. Dans la ville, la plupart des églises sont gothiques et très grandes. Entre la ville et les Chartrons, il y a un quartier qui est à mes yeux le plus beau et le plus agréable. Il se compose de quatre ou cinq rues très belles, qu’on appelle Tourny, autrefois Saint-Surin. Les allées de Tourny sont toutes très larges, une grande partie d’entre elles, sur un seul côté, est bordée de maisons qui sont toutes très belles et modernes. Au milieu de ces allées, certaines, dès que le temps le permet, se remplissent de promeneurs, surtout le soir.

Près de Tourny se trouve le « Chapeau rouge », rue large et somptueuse où sont rassemblées la plupart des boutiques et où l’on trouve deux belles places au bord du quai : le marché au Vin et la place Royale.

Tout près de cette dernière, la Bourse vient d’être construite. C’est un vaste bâtiment bien meublé. Derrière Tourny, il y a une ruine très ancienne qui date de l’époque des Romains. On l’appelle habituellement le palais de Gallien, bien que ça n’ait jamais été un palais impérial, mais un amphithéâtre dans lequel on donnait des pièces et des combats d’animaux. Cette ruine a résisté d’une façon prodigieuse à la force destructrice du temps ; on voit encore la grande rotonde, dans sa totalité, avec ses quinze arcades dont seules quelques-unes sont déclassées. L’entrée est encore intacte, mais à l’intérieur de la magnifique place qui enferme la rotonde, on a construit des maisons, adossées à des bicoques à moitié en ruine, à ces murs vénérables qu’un million d’années n’a pas ébranlé. »

Le Voyage aux Pyrénées et en Corse de Flaubert commence par une description de Bordeaux, souvent très incisive (« Ce qu’on appelle ordinairement un bel homme est une chose assez bête ; jusqu’à présent, j’ai peur que Bordeaux ne soit une belle ville. »). texte disponible ici  http://www.kufs.ac.jp/French/i_miyaza/publique/litterature/FLAUBERT__Voyage_aux_Pyrenees_et_en_Corse.pdf  et très bien édité par ailleurs chez de nombreuses maisons.

 » J’étais curieux de voir le musée d’antiques pour expliquer à mes compagnons deux bas-reliefs dont j’avais lu la description le matin, mais je ne les ai point retrouvés et M. Cloquet, par intuition, m’en a nommé un que je ne reconnais pas. Mauvais sort de savant. A la bibliothèque j’ai touché le manuscrit de Montaigne avec autant de vénération qu’une relique, car il y a aussi des reliques profanes. Les additions qui sont en marge sont nombreuses, surchargées, mais nettes et sans rature, écrites comme le reste de veine primesautière ; c’est plus souvent une extension qu’une correction de la pensée ou du mot, ce qui arrive pourtant quelquefois par scrupule d’artiste et pour rendre son idée avec toutes ses nuances.

J’ai feuilleté ce livre avec plus de religion historique, si cela peut se dire, que je suis entré avec recueillement dans la cathédrale de Bordeaux, église qui veut faire la gothique, mais qui trahit le sol païen où elle est bâtie, alliance de deux architectures, amalgame de deux idées qui ne produit rien de beau. Le jubé est orné de sculptures mignardes et bien ouvragées qui seraient mieux à quelque rendez-vous de chasse de François I , à quelque boudoir de pierre au milieu des bois, pour y renfermer à l’heure de midi la maîtresse du roi; des arceaux romans s’étendent tout le long de l’église, et les ogives supérieures forment la voûte, ogives rondes encore, quoi qu’elles fassent, qui n’ont pas eu la force de s’élever au ciel dans un élan d’amour et qui sont retombées presque en plein cintre, accablées et fatiguées. On a remplacé les anciens vitraux par des neufs, de sorte que le soleil entre malgré les rideaux qu’on a tendus, fait mille jeux de lumière riants sur les dalles, ce qui emporte l’esprit loin du lieu saint dans les champs, sous les vignes. J’ai pensé alors à nos bonnes églises du Nord où il fait toujours sombre et toujours froid, où les peintures des vitraux ne laissent pénétrer que des rayons mystiques qui se reflètent sévèrement, pleins de mélancolie, sur les dalles grises. Si vous montez aux clochers, vous voyez toute la plaine de Bordeaux, blanche et illuminée ; le ciel est bleu et les tours octogones se détachent sur ce fond limpide ; la terre et le ciel se confondent à l’horizon dans leur blancheur, et l’esprit charmé et fatigué retombe de toute la hauteur des tours sur ce sol qui attiédit les âmes.
J’ai voulu grimper aux échelles et aller jusqu’au haut, mais j’ai senti le vertige venir ; des jours partis d’en bas me montaient entre les rayons des échelles et les fentes des charpentes, je suis redescendu avec plaisir tout content d’avoir à temps fui la peur. L’orgue, qu’on raccommodait pendant que nous visitions l’église, bourdonnait comme une grosse mouche.
C’est dans la tour Saint-Michel que se trouve le fameux caveau corroyeur, qui a la propriété de tanner les hommes ; ingénieux caveau qui n’a pas été aux écoles d’arts et métiers et qui fait de peaux de chrétiens des peaux d’ânes, car j’atteste qu’elles sont toutes dures, brunes, coriaces et retentissantes. Je suis désespéré de ne pas avoir eu d’idées fantastiques au milieu de ces vénérables momies ; je ne suis pas assez sensible non plus pour que cela m’ait fait horreur ; j’avoue que je me suis assez diverti à contempler les grimaces de tous ces cadavres de diverses grandeurs, dont les uns ont l’air de pleurer, les autres de sourire, tous d’être éveillés et de vous regarder comme vous les regardez. Qui sait ? ce sont peut-être eux qui vivent et qui s’amusent à nous voir venir les voir. Ils se tenaient en rond autour d’un caveau circulaire, dont le sol est monté à moitié des arceaux, car ces morts-là sont debout sur 17 pieds d’autres morts, et ceux-ci sur d’autres sans doute, et nous, face à face avec les premiers. On vient, on les examine à la lanterne, le gardien leur fait sonner la poitrine pour faire voir qu’elle est dure ; on passe au suivant et, quand la revue est passée, on remonte l’escalier. C’est là leur métier, à ces morts ; on les a retirés de dessous terre, et on les a alignés en cercle ; l’un a 100 ans, l’autre 80, etc., un troisième 76, tous aussi âgés les uns que les autres pourtant ! Quand on vous a raconté leur genre de mort et que vous avez donné vos dix sous, tout est dit et vous faites place à d’autres. J’envie ici le sort de ces braves morts tannés qu’on va voir nus car la mort n’a pas de pudeur ; il y a une négresse qui a encore un air d’odalisque, un portefaix, joli garçon de plus de 6 pieds, superbe à voir, et un comte du pays tué en duel. Je ne demande pas à être plus célèbre, car il y a bien des gens vertueux,. des poètes et des membres de l’Institut qui ne sont pas aussi curieux à voir que ces cuirs racornis, et qui n’auront jamais le renom de cette poussière obscure.
Le christianisme n’est point sérieux à Bordeaux. L’église est entourée d’un ancien cimetière où entre autres dorment les Girondins Vergniaud, et sur l’affirmation d’un ancien camarade de Julien, M. Mabitte, médecin de Bordeaux converti maintenant en promenade. Ici c’est pire qu’à Saint-Michel, les vivants ne marchent plus seulement sur les morts, ils y font l’amour et on nomme ce lieu l’allée d’Amour, antithèse à la Shakespeare, où se trouvent opposés tout ce que la vie a de beau, tout ce que la mort a de hideux. A côté, sous ces arbres dont l’ombrage est si doux dans le Midi, l’église n’a guère de valeur ; l’amour nargue le ciel et se pose sur les tombeaux.
Sainte-Croix, vieux temple païen, église à demi romane, d’un beau roman du reste ; les phallus sont multipliés dans les murs. La petite église Saint-Pierre est badigeonnée, ouverte au soleil et rit dans ses peintures de théâtre. Non loin, dans la rue de la Bahuterie, je viens de voir une petite façade de maison qui vaut bien à elle tous les monuments de Bordeaux pour les nombreuses conjectures qu’on peut en faire sortir : le panneau principal est occupé par une figure humaine à trois faciès, quatre yeux servent aux trois figures, emblème de la Trinité ; à droite et à gauche, sont des chevaux ailés, plus bas un griffon ; dans une autre cour une tête d’homme couverte d’un turban. Un caractère asiatique persan ressort de cette énigme de pierre, attribuée par mon cicérone à l’invention d’un membre du parlement, alchimiste autrefois célèbre. Symbolisme curieux qui se rattacherait peut-être aux dogmes orientaux du moyen âge. Est-ce qu’Arriman serait venu si loin jusque dans l’anglaise Gascogne ? Un homme du peuple disait près de là que c’était l’hôpital des pauvres. Que conclure de tout ceci? Rien que du vague. »