« Latin et grec : la Ministre de l’Éducation nationale se trompe et trompe l’opinion »

Par Jean-Pierre Aygon, universitaire, ancien président de l’Artela-Cnarela.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, Ministre de l’Éducation Nationale, se trompe quand elle affirme que les options de latin-grec sont aujourd’hui « réservées » à une élite scolaire ou sociale : au contraire, elles sont offertes à tous sans distinction, et de nombreux élèves issus de milieux populaires les choisissent, dans les REP (ZEP) notamment. Un demi-million d’élèves, dans 95  % des collèges, c’est respectable et ne peut être considéré comme une « élite » restreinte.

Mme la Ministre se trompe quand, prétendant décrire la situation actuelle, elle affirme qu’aujourd’hui « seulement 15 ou 20% de collégiens, parce qu’ils sont dans les bonnes classes, vont bénéficier de ces options-là » (Itélé) : sait-elle seulement que les élèves regroupés pour ces options sont, pour les autres matières, répartis dans des classes différentes, qui, elles, restent hétérogènes ?

Mme la Ministre – manipulée par son cabinet ? – ment quand elle prétend qu’avec sa réforme les enseignements de latin-grec seront offerts à tous et démocratisés. Au contraire :

– l’initiation dans un EPI sera (toujours ?) offerte… aux élèves qui la choisiront (comme les options aujourd’hui !), et ce sera un enseignement limité, dont le contenu devra être inventé au gré des rencontres entre enseignants, sans cohérence garantie d’une année à l’autre, d’un collège à l’autre. Le caractère « éclaté » des 3 EPI possibles sur trois ans ne permettra pas de construire la progression pédagogique nécessaire à des apprentissages linguistiques sérieux ! Des EPI interdisciplinaires n’ont de sens qu’adossés à des enseignements disciplinaires, ou comme initiation.

– c’est pourquoi Mme la Ministre a été contrainte de faire une concession en ajoutant des heures d’« enseignement de complément » en latin-grec. Mais ces heures ne sont pas financées, il faudra les prendre sur celles prévues pour  « le travail en groupes à effectifs réduits » (art. 7). Elles n’existeront donc que dans quelques rares collèges : ceux des beaux quartiers, sous la pression des parents, et les établissements privés, qui ont plus de ressources. L’apprentissage sérieux du latin ou du grec sera alors vraiment réservé à l’élite sociale qui fréquente ces collèges, et disparaîtra de tous les autres.

Mme la Ministre nous trompe en avançant qu’elle promeut l’interdisciplinarité, alors qu’elle supprime des classes où cette méthode obtient un grand succès : les classes européennes (créées en 1992 par Lionel Jospin), où des cours (d’histoire, par exemple) sont assurés dans une langue vivante étrangère : deux disciplines en une ! Quant à la fausse « interdisciplinarité » des EPI, elle est sévèrement critiquée par le Syndicat des Inspecteurs d’Académie (voir leur site « syndicat-ia » http://www.syndicat-ia.fr/htm/revue_ia.htm) !

Par ses erreurs et ses mensonges, Mme la Ministre fait donc mentir le Premier Ministre du Gouvernement de la France, M. Manuel Valls : « Quand on démocratise l’accès au latin et au grec […], on tire tous les collégiens vers le haut. On est donc fidèles à l’école de la République. On renforce, par conséquent, notre pays » (Libération du 19 mai 2015).

Par ses erreurs et ses mensonges, Mme la Ministre fait donc mentir le Président de la République française, M. François Hollande : des « disciplines essentielles qui étaient aujourd’hui proposées par options  », s’inscriront désormais « dans le parcours des jeunes collégiens » (Le Figaro, 5-05- 2015).

C’est faux : des enseignements d’excellence, aujourd’hui offerts à tous et choisis par une large élite scolaire, seront demain confisqués, réservés à une poignée de privilégiés, les enfants de l’élite sociale, et interdits aux enfants des classes populaires.