Lucien et Pétrone, morceaux choisis pour une séquence sur le « roman » antique au lycée

 Par Germain Teilletche

Séquence téléchargeable ici : Lucien et Pétrone

I Quelques pistes pour amener les élèves dans la lune avec L’Histoire vraie.

A) Le prologue de l’ Histoire Vraie (Extraits de Lucien, Histoire vraie, ou l’âne.)

Voici le prologue de ce qui s’apparente comme le plus grand « roman » grec !

Les athlètes et ceux qui s’exercent le corps ne se préoccupent pas exclusivement d’entretenir leurs forces naturelles, ils ne songent pas toujours aux travaux du gymnase ; mais ils ont leurs heures de relâche, et ils regardent ce repos comme une très bonne part de leurs exercices. Je crois qu’à leur exemple il convient aux hommes qui s’appliquent à l’étude des lettres, de donner quelque relâche à leur esprit, après de longues heures consacrées à des lectures sérieuses, et de le rendre par là plus vif à reprendre ses travaux.

Toutefois, ce repos ne leur sera profitable que s’ils s’appliquent à lire des œuvres qui ne les charment pas uniquement par un tour spirituel et une agréable simplicité, mais où l’on trouve la science jointe à l’imagination, comme on les reconnaîtra, je l’espère, dans ce livre. En effet, ce n’est pas seulement par la singularité du sujet ni par l’agrément de l’idée qu’il devra plaire ; ni même parce que nous y avons répandu des fictions sous une apparence de probabilité et de vraisemblance ; mais parce que chaque trait de l’histoire fait allusion d’une manière comique à quelques-uns des anciens poètes, historiens ou philosophes, qui ont écrit des récits extraordinaires et fabuleux. J’aurais pu vous citer leurs noms, si vous ne deviez pas facilement les reconnaître à la lecture.

Ctésias de Cnide, fils de Ctésiochus, a écrit sur les Indiens et sur leur pays des choses qu’il n’a ni vues ni entendues de la bouche de personne. Jambule a raconté des faits incroyables sur tout ce qui se rencontre dans l’Océan ; il est évident pour tous que cette oeuvre n’est qu’une fiction, c’est cependant une composition qui ne manque pas de charmes. Beaucoup d’autres encore ont choisi de semblables sujets : ils racontent, comme des faits personnels, soit des aventures, soit des voyages, où ils font la description d’animaux énormes, d’hommes pleins de cruauté ou vivant d’une façon étrange. L’auteur et le maître de toutes ces impertinences est l’Ulysse d’Homère, qui raconte chez Alcinoüs l’histoire de l’esclavage des vents, d’hommes qui n’ont qu’un œil qui vivent de chair crue, et dont les mœurs sont tout à fait sauvages ; puis viennent les monstres à plusieurs têtes, la métamorphose des compagnons d’Ulysse opérée au moyen de certains philtres, et mille autres merveilles qu’il débite aux bons Phéaciens. Parti un jour des colonnes d’Hercule, et porté vers l’Océan occidental, je fus poussé au large par un vent favorable. La cause et l’intention de mon voyage étaient une vaine curiosité et le désir de voir du nouveau : je voulais, en outre, savoir quelle est la limite de l’Océan, quels sont les hommes qui en habitent le rivage opposé. Dans ce dessein, j’embarquai de nombreuses provisions de bouche et une quantité d’eau suffisante ; je m’associai cinquante jeunes gens de mon âge, ayant le même projet que moi : je m’étais muni d’un grand nombre d’armes, j’avais engagé, par une forte somme, un pilote à nous servir de guide, et j’avais fait appareiller notre navire, qui était un vaisseau marchand, de manière à résister à une longue et violente traversée.

  1. Rappelez ce qu’est un prologue. Quel est son rôle dans un roman ?
  2. En quoi avons-nous ici une captatio beneuolentiae ?
  3. Montrez en quoi ce prologue est très original, plein d’humour et de mauvaise foi !
  4. Quel rapport est fait -avec malice- entre le propos de la « vérité » et le propos mythologique ?
  5. Quelles sont les différences entre le voyage d’un héros mythologique (comme Ulysse) et celle d’un héros « romanesque » comme ici?

 B. L’épreuve au féminin : Les femmes vignes (8, sq)

 Après avoir traversé le fleuve à un endroit guéable, nous trouvons une espèce de vignes tout à fait merveilleuses : τὸ μὲν γὰρ ἀπὸ τῆς γῆς, ὁ στέλεχος αὐτὸς εὐερνὴς καὶ παχύς, τὸ δὲ ἄνω γυναῖκες ἦσαν, ὅσον ἐκ τῶν λαγόνων ἅπαντα ἔχουσαι τέλεια : elles étaient telles que l’on nous représente Daphné, changée en laurier, au moment où Apollon va l’atteindre. . ἀπὸ δὲ τῶν δακτύλων ἄκρων ἐξεφύοντο αὐταῖς οἱ κλάδοι καὶ μεστοὶ ἦσαν βοτρύων. καὶ μὴν καὶ τὰς κεφαλὰς ἐκόμων ἕλιξί τε καὶ φύλλοις καὶ βότρυσι. προσελθόντας δὲ ἡμᾶς ἠσπάζοντο καὶ ἐδεξιοῦντο, αἱ μὲν Λύδιον, αἱ δ᾽ Ἰνδικήν, αἱ πλεῖσται δὲ τὴν Ἑλλάδα φωνὴν προϊέμεναι. Elles nous donnent des baisers sur la bouche ; mais ceux qui les reçoivent deviennent aussitôt ivres et insensés. Cependant elles ne nous permirent pas de cueillir de leurs fruits, et, si quelqu’un en arrachait, elles jetaient des cris de douleur. Quelques-unes nous invitaient à une étreinte amoureuse ; mais deux de nos compagnons s’étant laissé prendre par elles ne purent s’en débarrasser ; ils demeurèrent pris par les parties sexuelles, entés avec ces femmes, et poussant avec elles des racines. : καὶ ἤδη αὐτοῖς κλάδοι ἐπεφύκεσαν οἱ δάκτυλοι, καὶ ταῖς ἕλιξι περιπλεκόμενοι ὅσον οὐδέπω καὶ αὐτοὶ καρποφορήσειν ἔμελλον.

Nous les abandonnons, nous fuyons vers notre vaisseau, et nous racontons à ceux que nous y avions laissés la métamorphose de nos compagnons, désormais incorporés à des vignes. Cependant, munis de quelques amphores, nous faisons une provision d’eau, et nous puisons du vin dans le fleuve, auprès duquel nous passons la nuit. Le lendemain, au point du jour, nous remettons à la voile avec une brise légère ; mais, sur le midi, quand nous étions hors de la vue de l’île, une bourrasque soudaine vient nous assaillir avec une telle violence, qu’après avoir fait tournoyer notre vaisseau elle le soulève en l’air à plus de trois mille stades et ne le laisse plus retomber sur la mer : la force du vent, engagé dans nos voiles, tient en suspens notre embarcation et l’emporte, de telle sorte que nous naviguons en l’air pendant sept jours et sept nuits.

  1. En quoi cet extrait est-il burlesque (retournement comique d’un genre sérieux, ici l’épopée type Odyssée) ?
  2. Quel est le point de vue adopté (la focalisation) pour cette description ? Pourquoi ce choix ?
  3. Comparez la narration de cet épisode avec celui la métamorphose de Daphné, écrit par Ovide (auteur latin).

C. Ethnographie romanesque (I, 22)

Lors de ses voyages, le personnage principal visite… la lune. En voici le récit ethnographique -unique dans la littérature grecque !

Il faut cependant que je vous raconte les choses nouvelles et extraordinaires que j’ai observées, durant mon séjour dans la Lune. Et d’abord ce ne sont point des femmes, mais des mâles qui y perpétuent l’espèce : les mariages n’ont donc lieu qu’entre mâles, et le nom de femme y est totalement inconnu. On y est épousé jusqu’à vingt-cinq ans, et à cet âge on épouse à son tour. Ce n’est point dans le ventre qu’ils portent leurs enfants , mais dans le mollet. Quand l’embryon a été conçu, la jambe grossit ; puis, plus tard, au temps voulu, ils y font une incision et en retirent un enfant mort, qu’ils rendent à la vie en l’exposant au grand air, la bouche ouverte. C’est sans doute de là qu’est venu chez les Grecs le nom de gastrocnémie , puisque, au lieu du ventre, c’est la jambe qui devient grosse. Mais voici quelque chose de plus fort. Il y a dans ce pays une espèce d’hommes appelés dendrites, qui naissent de la manière suivante : on coupe le testicule droit d’un homme et on le met en terre ; il en naît un arbre grand, charnu, comme un phallus ; il a des branches, des feuilles. Ses fruits sont des glands d’une coudée de longueur. Quand ils sont mûrs, on récolte ces fruits, et on en écosse des hommes. Leurs parties sont artificielles : quelques-uns en ont d’ivoire, les pauvres en ont de bois, et ils remplissent avec cela toutes les fonctions du mariage.

Quand un homme est parvenu à une extrême vieillesse, il ne meurt pas, mais il s’évapore en fumée et se dissout dans les airs. Ils se nourrissent tous de la même manière. Ils allument du feu et font rôtir sur le charbons des grenouilles volantes, qui sont chez eux en grande quantité ; puis ils s’asseyent autour de ce feu, comme d’une table, et se régalent en avalant la fumée qui s’exhale du rôti. Tel est leur plat solide. Leur boisson est de l’air pressé dans un vase, où il se résout en un liquide semblable à de la rosée. Ils ne rendent ni urine, ni excréments, n’ayant pas, comme nous, les conduits nécessaires. Ils ne peuvent pas non plus avoir par cette voie de commerce avec des mignons, mais par les jarrets, où s’ouvre leur gastrocnémie. C’est une beauté chez eux que d’être chauve et complément dégarni de cheveux ; ils ont les chevelures en horreur. Dans les comètes, au contraire, les cheveux sont réputés beaux, au moins d’après ce que nous en dirent quelques voyageurs. Leur barbe croît un peu au-dessus du genou ; leurs pieds sont dépourvus d’ongles, et tous n’y ont qu’un seul doigt. Il leur pousse au-dessus des fesses une espèce de gros chou, en manière de queue, toujours vert, et ne se brisant jamais, lors même que l’individu tombe sur le dos.

  1. Montrez que le regard du narrateur est un regard sérieux : soulignez les effets de gradation et de mise en valeur expressives, évoquez les domaines scientifiques ici évoqués, et enfin montrez que l’ensemble est construit et ordonné avec une visée et une méthode scientifiques.
  2. Expliquez le comique du passage : en développant le plus votre réponse, montrez que les sélénites vivent dans un monde inversé par rapport à celui des Grecs de l’époque de Lucien.
  3. Enfin, montrez en quoi ce passage est aussi parfois très poétique dans les images qu’il propose.

 Traduisez :

[26] καὶ μὴν καὶ ἄλλο θαῦμα ἐν τοῖς βασιλείοις ἐθεασάμην· κάτοπτρον μέγιστον κεῖται ὑπὲρ φρέατος οὐ πάνυ βαθέος. ἂν μὲν οὖν εἰς τὸ φρέαρ καταβῆι τις, ἀκούει πάντων τῶν παρ᾽ ἡμῖν ἐν τῆι γῆι λεγομένων, ἐὰν δὲ εἰς τὸ κάτοπτρον ἀποβλέψηι, πάσας μὲν πόλεις, πάντα δὲ ἔθνη ὁρᾶι ὥσπερ ἐφεστὼς ἑκάστοις· τότε καὶ τοὺς οἰκείους ἐγὼ ἐθεασάμην καὶ πᾶσαν τὴν πατρίδα, εἰ δὲ κἀκεῖνοι ἐμὲ ἑώρων, οὐκέτι ἔχω τὸ ἀσφαλὲς εἰπεῖν. ὅστις δὲ ταῦτα μὴ πιστεύει οὕτως ἔχειν, ἄν ποτε καὶ αὐτὸς ἐκεῖσε ἀφίκηται, εἴσεται ὡς ἀληθῆ λέγω.

 [26] Je vis une bien autre merveille dans le palais du roi. C’était un grand miroir, placé au-dessus d’un puits d’une profondeur médiocre. En y descendant, on entendait tout ce qui se dit sur la terre, et en levant les yeux vers le miroir, on voyait toutes les villes et tous les peuples, comme si l’on était au milieu d’eux. J’y vis mes parents et ma patrie ; je ne sais s’ils me virent aussi ; je n’oserais l’affirmer : mais, si l’on se refuse à me croire, on verra bien, en y allant, que je ne suis pas un imposteur.

 D. Dans le ventre de la baleine (I, 40-42).

Le héros et son équipage viennent d’être avalé par une baleine…

Le cinquième jour du neuvième mois, vers le second bâillement de la baleine, car il est bon de savoir que l’animal bâillait une fois par heure, ce qui nous servait à compter les divisions du jour; vers le second bâillement, dis-je, φνω βοή τε πολλὴ καὶ θόρυβος ἠκούετο καὶ ὥσπερ κελεύσματα καὶ εἰρεσίαι                                                                                                                                                                                                                                                                                                                            . Troublés, comme on peut croire, nous nous glissons vers la gueule de la baleine, et, nous tenant dans l’intervalle des dents, nous voyons le plus étrange des spectacles qui se soient offerts à mes yeux, ἄνδρας μεγάλους, ὅσον ἡμισταδιαίους τὰς ἡλικίας, ἐπὶ νήσων μεγάλων προσπλέοντας ὥσπερ ἐπὶ τριήρων.                                                                                                                                                                                                                                         . Je sais bien que ce que je raconte trouvera mes lecteurs incrédules, mais je le dirai pourtant. Ces îles étaient plus longues que hautes, et chacune d’elles, qui avait environ cent stades de circuit, était montée par cent vingt de ces géants. Les uns, assis le long des bords de l’île, se servaient, en guise de rames, de grands cyprès garnis de toutes leurs branches et de tout leur feuillage. Derrière, comme à la poupe, un pilote se tenait debout, monté sur une colline, et tenant à la main un gouvernail d’airain long d’un stade. A la proue, quarante guerriers tout armés paraissaient prêts à combattre : ils ressemblaient tout à fait à des hommes, πλὴν τῆς κόμης· αὕτη δὲ πῦρ ἦν καὶ ἐκάετο, ὥστε οὐδὲ κορύθων ἐδέοντο.                                                                                                                                                                                                                                                                  . ἀντὶ δὲ ἱστίων ὁ ἄνεμος ἐμπίπτων τῆι ὕληι, πολλῆι οὔσηι ἐν ἑκάστηι, ἐκόλπου τε ταύτην καὶ ἔφερε τὴν νῆσον ἧι ἐθέλοι ὁ κυβερνήτης·                                                                                                                                                                                                                                                                                                                          . Ils avaient un chef de rameurs, et ceux-ci manœuvraient avec effort, comme on a coutume de le faire, pour faire avancer les gros vaisseaux.

  1. Traduire les phrases grecques.
  2. en quoi cet extrait est à mi chemin entre une vision sérieuse, presque scientifique, d’une population et une vision comique d’une galère grecque ?
  3. En vous aidant du texte suivant, dites en quoi cet extrait parodie le registre épique propre à Homère.

E. Le voyage ultime, (II, 4 sq)

Ulysse et Enée ont, avant le narrateur de L’Histoire véritable de Lucien, visité les enfers pour y retrouver des êtres chers et disparus. D’après le récit du latin Virgile dans l’Enéide, voici le plan des enfers (appelés « dans la demeure d’Hadès » en grec) tels qu’ils sont décrits dans les épopées…

  1. Quelles sont les différences majeures entre les enfers et ce que nous appelons l’enfer ?
  2. Que savez-vous de Charon et de Cerbère ?

[4] Après être demeurés cinq jours dans cette île nous levons l’ancre le sixième, avec une jolie brise et une mer tranquille. Le huitième jour, quand nous n’étions plus déjà dans des flots de lait, mais au milieu d’une eau saumâtre et azurée, nous apercevons un grand nombre d’hommes qui couraient sur les vagues : ils nous ressemblaient en tout, et par le corps et par la taille ; il n’y avait de différence que dans leurs pieds qui étaient de liège, d’où probablement leur nom de Phellopodes . Nous, sommes fort étonnés de voir qu’au lieu d’enfoncer, ils se soutiennent sur l’eau et voyagent sans crainte. Quelques-uns nous abordent, nous saluent en grec, et nous disent qu’ils vont à Phello, leur patrie. Ils nous accompagnent même quelque temps, en glissant le long de notre navire ; mais ensuite ils changent de route et nous quittent, en nous souhaitant un heureux voyage. Bientôt nous découvrons plusieurs îles, et près de nous, à gauche, cette Phello, vers laquelle se hâtaient d’arriver nos voyageurs. C’est une ville bâtie sur un grand et rond morceau de liège. De loin et un peu plus sur la droite, nous apercevons cinq autres villes, très grandes et très élevées, d’où sortait un feu continuel.

[5] Vers la proue, il y en avait une large, à fleur d’eau, à la distance de moins de cinq cents stades. Nous nous en approchons, et aussitôt une odeur extraordinaire, suave, parfumée, arrive jusqu’à nous ; on eût dit la senteur que l’historien Hérodote prétend exhalée par l’Arabie Heureuse : c’était un mélange de rose, de narcisse, d’hyacinthe, de lis, de violette, de myrrhe, de laurier, de fleur de vigne, qui venait caresser notre odorat. Ravis de ce doux parfum, nous espérons enfin le bonheur après tant de fatigues, et nous nous avançons vers l’île. En approchant, nous voyons de tous côtés des ports nombreux, vastes et sûrs , et des fleuves limpides descendant tranquillement vers la mer ; puis, des prés, des forêts, des oiseaux mélodieux, chantant les uns près du rivage, une foule d’autres sur les rameaux : un air pur et léger environnait toute la contrée ; le souffle agréable des zéphyrs agitait doucement le feuillage, et en tirait des sons délicieux et prolongés, semblables à ceux d’une flûte oblique au milieu d’une solitude. A cette musique se mêlait le bruit de plusieurs voix, mais sans confusion, comme celui qu’on entend dans les festins, lorsqu’aux accords de la cithare et de la flûte se mêlent les louanges et les applaudissements des convives.

[6} Enchantés de tous ces objets , nous nous dirigeons vers la terre : nous entrons au port et nous débarquons, laissant sur le navire Scintharus et deux de nos compagnons. Nous marchions à travers une prairie émaillée de fleurs, lorsque nous rencontrons des sentinelles et des garde-côtes. Ils nous enchaînent avec des guirlandes de roses (ils n’ont pas de liens plus forts), et nous conduisent au chef du pays. Dans le chemin ils nous apprennent que nous sommes dans l’île des Bienheureux, gouvernée par le Crétois Rhadamanthe. On nous amène à son tribunal, et l’appel de notre cause est fixé au quatrième tour.

[7] La première qui fut jugée avant la nôtre, était celle d’Ajax, fils de Télamon. Il s’agissait de savoir s’il serait admis ou non parmi les héros. On l’accusait de s’être donné la mort dans un accès de fureur. Après un long débat, Rhadamanthe décida qu’on lui ferait boire de l’ellébore, qu’on le mettrait entre les mains du médecin Hippocrate de Cos, et que, quand il aurait recouvré la raison, on l’admettrait au banquet.

[8] La seconde cause était une question d’amour : Thésée et Ménélas se disputaient au sujet d’Hélène ; chacun d’eux voulait la posséder. Rhadamanthe l’adjugea à Ménélas, à cause de tous les travaux et de tous les dangers auxquels l’avait exposé son mariage : d’ailleurs Thésée ne manquait pas de femmes, l’Amazone et les filles de Minos. 9. La troisième était une affaire de préséance, entre Alexandre, fils de Philippe, et le Carthaginois Annibal : le pas fut accordé au roi de Macédoine, et on lui éleva un trône auprès de Cyrus l’Ancien, roi de Perse.

[10] Notre tour vient alors. Le juge nous demande pourquoi, vivants, nous sommes entrés dans cette région sacrée. Nous lui racontons nos aventures sans en rien omettre : il nous fait tenir à l’écart, délibère pendant longtemps, et prend l’avis des autres juges ; il avait, en effet, plusieurs assesseurs, entre autres Aristide le Juste d’Athènes. Enfin, il prononce un arrêt d’après lequel nous subirions, après notre mort, la peine de notre curiosité et de notre voyage, mais que, pour le moment, nous aurions le droit de demeurer dans l’île, de prendre part au festin des héros, et puis de partir. Il fixa en même temps à sept mois juste la durée de notre séjour.

  1. En quoi cet extrait développe-t-il le thème du voyage hasardeux par excellence ?
  2. Quelle partie des enfers est ici décrite ?
  3. En quoi la « revue des héros » est-elle parodique ?
  4. En quoi le merveilleux et la fantaisie l’emportent-ils sur la pesanteur et la gravité du sujet ?

F. La mort est une fête

Cet extrait suit immédiatement celui du « voyage ultime »

Aussitôt, les guirlandes qui nous enchaînaient tombent d’elles-mêmes : libres, nous sommes conduits dans l’intérieur de la ville, au banquet des bienheureux. αὐτὴ μὲν οὖν ἡ πόλις πᾶσα χρυσῆ, τὸ δὲ τεῖχος περίκειται σμαράγδινον· πύλαι δέ εἰσιν ἑπτά, πᾶσαι μονόξυλοι κινναμώμινοι: le pavé est d’ivoire dans la partie close par la muraille ; tous les temples des dieux sont bâtis de béryl, et sur leurs autels, faits d’une seule améthyste, on immole des hécatombes entières. Autour de la ville coule un fleuve de myrrhe magnifique ; il a cent coudées royales de largeur, et sa profondeur permet d’y nager aisément. Les bains de ce pays sont de vastes édifices de cristal , tout parfumés de cinnamome ; au lieu d’eau, les bassins sont remplis de rosée chaude.

[12] ἐσθῆτι δὲ χρῶνται ἀραχνίοις λεπτοῖς, πορφυροῖς. αὐτοὶ δὲ σώματα μὲν οὐκ ἔχουσιν, ἀλλ᾽ ἀναφεῖς καὶ ἄσαρκοί εἰσιν, μορφὴν δὲ καὶ ἰδέαν μόνην ἐμφαίνουσιν, καὶ ἀσώματοι ὄντες ὅμως συνεστᾶσιν καὶ κινοῦνται καὶ φρονοῦσι καὶ φωνὴν ἀφιᾶσιν, καὶ ὅλως ἔοικε γυμνή τις ἡ ψυχὴ αὐτῶν περιπολεῖν τὴν τοῦ σώματος ὁμοιότητα περικειμένη· Il faut donc les toucher, pour être sûr que ce n’est point un corps que l’on voit ; ce sont, en effet, des ombres qui marchent, et non pas des ombres noires. Personne, chez eux, ne vieillit chacun y garde l’âge qu’il avait en arrivant. Jamais il ne fait nuit, quoique le jour n’y soit pas éclatant ; mais un crépuscule semblable à celui qui, le matin, précède le lever du soleil, enveloppe toute la contrée. Ils ne connaissent qu’une seule saison pour toute l’année : c’est un printemps éternel, avec un seul vent qui souffle, le Zéphyr.

[13]  ἡ δὲ χώρα πᾶσι μὲν ἄνθεσιν, πᾶσι δὲ φυτοῖς ἡμέροις τε καὶ σκιεροῖς τέθληλεν· αἱ μὲν γὰρ ἄμπελοι δωδεκάφοροί εἰσιν καὶ κατὰ μῆνα ἕκαστον καρποφοροῦσιν· Les pêchers, les pommiers , et les autres arbres d’automne, produisent treize fois, en offrant une double récolte dans le mois consacré à Minerve. Au lieu de froment, les épis portent des pains tout prêts à manger, comme des champignons. Autour de la ville, on trouve trois cent soixante-cinq sources d’eau ; autant de miel, cinq cents de myrrhe, mais celles-ci sont plus petites, sept fleuves de lait et huit de vin.

[14] Le banquet se tient hors de la ville, dans un endroit qu’ils nomment Champ Élysée. C’est une prairie délicieuse, environnée d’arbres nombreux, épais, dont le feuillage ombrage, les convives, couchés sur un tapis de fleurs. Les vents sont les ordonnateurs et les ministres du festin, sans en être les échansons : ce soin est superflu : de grands arbres du cristal de plus diaphane, rangés autour du banquet, portent des fruits, qui servent de coupes, de toute forme et de toute grandeur. Chaque convive, en arrivant au repas, cueille une ou deux de ces coupes, la place devant soi, et le vase se remplit aussitôt de vin : telle est leur manière de boire. En guise de couronnes, les rossignols et les autres oiseaux chanteurs font neiger de leurs becs sur la tête des convives des fleurs cueillies dans les prairies, et qu’ils répandent en gazouillant et en voltigeant. Quant aux parfums, des nuées épaisses, où se concentre la myrrhe des fontaines et du fleuve, demeurent suspendues au-dessus du banquet, et, doucement pressées par les vents, se résolvent en une pluie fine comme la rosée.

[15] Pendant le repas, ils charment leurs loisirs avec de la musique et des chants, empruntés surtout aux poèmes d’Homère. Ce poète lui-même est assis à la table et partage le banquet, placé au-dessus d’Ulysse. Les chœurs sont composés de jeunes garçons et de jeunes filles : ils sont conduits et dirigés par Eunomus de Locres, Arion de Lesbos, Anacréon et Stésichore. Je l’ai vu là, en effet, réconcilié avec Hélène. Quand ces premiers chants ont cessé, vient un second chœur de cygnes, d’hirondelles, de rossignols ; et, pendant qu’ils chantent, la forêt tout entière, agitée par les vents, ses accompagne de la flûte.

[16] Mais ce qui fait surtout le charme de ce banquet, c’est qu’il y a deux sources, l’une du Rire et l’autre du Plaisir. Chaque convive, au commencement du festin, y va boire et passe ainsi le reste du repas dans le plaisir et dans le rire.

  1. Traduire.
  2. L’art du clin d’oeil : comment Lucien joue-t-il avec malice d’une mise en abyme ? Est-ce une moquerie ou un hommage ? Une signature ?
  3. Quelle image Lucien laisse-t-il de la mort ?

II Quelques pistes pour inviter les élèves  à la table de Trimalcion.

A. Ambiance ! (XXXVI)

Encolpe et Eumolpe sont invités au grand banquet que donne Trimalcion.. Sur la table principale un gigantesque plat est recouvert d’un globe.

Trimalcion donna ses ordres, et, au son de la musique, quatre danseurs accourent qui enlèvent la partie supérieure du globe. Ceci fait, nous apercevons au-dessous, c’est-à-dire dans l’autre hémisphère, des volailles grasses, un ragoût de tétines de truies et, au beau milieu, un lièvre, si bien orné de plumes qu’il ressemblait à Pégase.

Aux coins de ce surtout se dressaient quatre satyres dont les outres laissaient couler une saumure délicieusement épicée sur des poissons nageant dans cet Euripe de sauce. Les esclaves donnent le signal des applaudissements : nous suivons le mouvement et nous nous attaquons avec un sourire béat à cette chère délicate. Trimalcion, non moins réjoui par cette étonnante invention, ordonna : « Coupez ! » L’écuyer tranchant avance à l’ordre, et, en gestes cadencés, il divise les viandes au son de la musique : on eût dit le cocher parcourant l’arène au son de l’orgue hydraulique.

Cependant, Trimalcion répétait toujours d’une voix monotone : « Coupez ! Coupez ! » Tant d’insistance me parut l’indice de quelque fine plaisanterie. Je me risquai à interroger mon voisin de table. C’était un habitué, déjà familier à ce genre d’amusement :

 VIDESILLUMINQUITQUIOBSONIUMCARPITCARPUSVOCATURITAQUOTIESCUMQUEDICIT

CARPEEODEMVERBOETVOCATETIMPERAT

lexique

carpo, is, ere, carpsi, carptum : couper dico, is, ere, dixi, dictum : 1 – dire, idem, eadem, idem : le (la) même ille, illa, illud : ce, cette, celui-ci, celle-ci, il, elle inquit, vb. inv. : dit-il, dit-elle ita, adv. : ainsi, de cette manière obsonium, ii, n. : plat, nourriture queo, is, ire, ii ou iui, itum : pouvoir uerbum, i, n. 1. le mot, uideo, es, ere, uidi, uisum : voir (uideor, eris, eri, uisus sum : paraître, sembler) uoco, as, are : appeler quotienscumque : chaque fois que

B. Illusions et miroirs

  1. Caue canem ! (XXIX)

Le narrateur rentre avec ses camarades chez Trimalcion afin de profiter gratuitement du banquet qu’il a donné.

Dum omnia stupeo, paene resupinatus crura mea fregi. Ad sinistram enim  (…) canis ingens, catena vinctus, in pariete erat pictus superque quadrata littera scriptum CAVE CANEM. Et collegae quidem mei riserunt.

lexique

ad, prép. + Acc. : vers, à, près de canis, is, m. : chien catena, ae, f. : la chaîne caueo, es, ere, caui, cautum : faire attention collega, ae, m. : le camarade. crus, cruris, n. : jambe dum, conj. : pendant que enim, conj. : car, en effet frango, is, ere, fregi, fractum : briser ingens, entis : immense, énorme littera, ae, f. : lettre meus, mea, meum : mon omnis, e : tout paene, adv. : presque paries, etis, m. : mur pingo, is, ere, pinxi, pictum : peindre rideo, es, ere, risi, risum : rire scribo, is, ere, scripsi, scriptum : écrire sinister, tra, trum : gauche stupeo, es, ere, stupui : être impressioné super, prép. : + Abl. : au dessus de, au sujet de uincio, is, ire, uinxi, uinctum : enchaîner quadrata : majuscule
  1. Le portique de Trimalcion. (LXXV sq)

Voici la suite directe du texte ci-dessus…

Mais, ayant recouvré mes esprits, je n’avais d’yeux que pour les fresques qui ornaient le mur : un marché d’esclaves, avec leurs titres () au cou, et Trimalcion lui-même, les cheveux flottants, portant le caducée, entrant à Rome conduit par Minerve (). Ici on lui apprenait le calcul. Là il devenait trésorier : le peintre avait méticuleusement expliqué toutes choses par des inscriptions détaillées. Au bout du portique, Mercure enlevait Trimalcion par le menton, pour le porter sur un tribunal élevé. A ses côtés se tenaient la Fortune, munie d’une copieuse corne d’abondance, et les trois Parques, filant sa vie sur des quenouilles d’or. Je remarquai aussi une troupe d’esclaves s’exerçant à la course sous la direction d’un maître.

Outre ces peintures, je vis encore une grande armoire : dans ses compartiments reposaient des lares d’argent, une statue de Vénus en marbre et une boîte en or assez grande qui, disait-on, renfermait la barbe du maître (). J’allai demander au portier quelles peintures tenaient le milieu du portique : L’Iliade et l’Odyssée, dit-il, et sur la gauche, vous voyez un combat de gladiateurs.

« Tam magnus ex Asia veni, quam hic candelabrus est. Ad summam, quotidie me solebam ad illum metiri, et ut celerius rostrum barbatum haberem, labra de lucerna ungebam. Tamen ad delicias ipsimi annos quattuordecim fui. Nec turpe est, quod dominus iubet. »

lexique

dominus, i, m. :maître ad, prép. + Acc. : vers, à, près de annus, i, m. : année Asia, ae, f. : Asie barbatus, a, um : barbu celerius, comp. de celere : plus rapidement de, prép. + abl. : au sujet de, du haut de, de deliciae, arum, f. pl. : délices, amour et, conj. : et. adv. aussi ex, prép. : + Abl. : hors de, de habeo, es, ere, bui, bitum : avoir (en sa possession), tenir (se habere : se trouver, être), considérer comme hic, haec, hoc : ce, cette, celui-ci, celle-ci ille, illa, illud : ce, cette, celui-ci, celle-ci, il, elle iubeo, es, ere, iussi, iussum : 1. inviter à, engager à 2. ordonner labrum, i, n. : la lèvre, le museau lucerna, ae, f. : lampe lucerna, ae, f. : lampe magnus, a, um : grand nec, adv. : et…ne…pas quattuordecim, inv. : quatorze quotidie, adv. : chaque jour, tous les jours rostrum, i, . : le bec soleo, es, ere, solitus sum : avoir l’habitude de tam… quam… : aussi…. que…. tamen, adv. : cependant turpis, e : honteux uenio, is, ire, ueni, uentum : venir ungo, is, ere : oindre, enduire, graisser, imprégner candelabrus : chandelier ego, mei : je metiri : mesurer

 » Enfin, par la volonté des dieux, je me trouvai maître dans ma maison, et alors, je pus en faire à ma tête. En deux mots, mon maître me désigna comme cohéritier avec César, et me voilà le possesseur d’un patrimoine sénatorial (). Mais jamais personne fut-il content de ce qu’il a ? Je voulus faire du commerce. Pour ne pas vous faire languir, sachez que j’équipai cinq navires ; je les chargeai de vin ; c’était alors de l’or en barre ; je les envoyai à Rome. On aurait cru que j’en avais donné l’ordre : tous cinq font naufrage ! C’est de l’histoire, ce n’est pas de la blague ! En un jour, Neptune me mangea trente millions de sesterces.« Vous croyez que là-dessus je lâche la partie ! Pas du tout ! Cette perte m’avait mis en goût ; comme si de rien n’était, j’en construis d’autres plus grands, et plus forts, et plus beaux, afin que personne ne puisse dire que je manque d’estomac. Vous savez que plus un navire est gros, plus vaillamment il lutte contre les vents. Je charge une nouvelle cargaison : du vin, du lard, des fèves, des parfums de Capoue, des esclaves. Dans la circonstance, Fortunata fut admirable : elle vendit tous ses bijoux, toutes ses robes et me mit dans la main cent pièces d’or ; elles furent le germe de ma fortune.  Les affaires vont vite quand les dieux veulent. En un seul voyage je gagnai une somme ronde de dix millions de sesterces. Je commence par racheter toutes les terres qui avaient appartenu à mon maître ; je me fais bâtir une maison, j’achète des bêtes de somme pour les revendre. Tout ce que je touchais croissait comme champignons.  Quand je me trouvai plus riche que le pays tout entier, je fermai mes registres, j’abandonnai le négoce et me mis à prêter à intérêt aux affranchis ().

C. A table !

1. Les hors d’oeuvre (XXXI)

Nous prenons place enfin à la table. Des esclaves égyptiens () nous versent sur les mains de l’eau de neige () ; d’autres suivent qui nous lavent les pieds et nous font les ongles avec une dextérité rare. Et bien loin de s’acquitter en silence de cette fastidieuse besogne, ils s’accompagnaient en chantant. Il me prit fantaisie de vérifier si toute la domesticité chantait. Je demande donc à boire. L’esclave très empressé qui me sert me gratifie en même temps d’un aigre refrain. Et tous, en donnant ce qu’on leur demandait, en faisaient autant. On pouvait se croire dans un choeur de pantomime plutôt qu’à la table d’un bourgeois.

On apporte alors l’entrée, qui était vraiment somptueuse, car tout le monde était à table, excepté le seul Trimalcion, auquel, de par un usage nouveau, on avait réservé la place d’honneur ().

Sur le plateau des hors-d’oeuvre () était un petit âne en bronze de Corinthe portant un bissac qui contenait des olives d’un côté blanches, de l’autre noires. Il avait sur le dos deux plats d’argent sur le bord desquels était gravé le nom de Trimalcion avec les poids de l’argent (). Des surtouts en forme de ponts () supportaient des loirs accommodés avec du miel et des pavots. Il y avait aussi, posées sur un gril d’argent, des saucisses grésillantes et, sous le gril, des prunes de Syrie avec des grains de grenade ().

2. Première énigme (XXXIII)

Nous mangions encore les hors-d’oeuvre qu’on nous servit un large plateau garni d’une corbeille qui contenait une poule de bois, les ailes largement arrondies, comme font les couveuses. Aussitôt, deux esclaves s’approchèrent, et aux accents aigus de la musique, ils se mirent à fureter dans la paille, d’où ils tirèrent des oeufs de paon qu’ils distribuèrent aux convives. À ce jeu de scène, Trimalcion se retourna : « Chers amis, dit-il, ce sont des oeufs de paon que j’ai fait couver par une poule. Et, par Hercule, j’ai bien peur qu’ils ne soient déjà couvés. Essayons pourtant s’ils se laissent encore avaler. » Nous recevons alors des cuillères pesant une bonne demi-livre, et nous trouons nos oeufs qui étaient faits en pâtisserie. Pour moi, je faillis bien rejeter ma part, car il me semblait que le poussin était déjà formé. Audivi veterem convivam: « Hic nescio quid boni debet esse », persecutus putamen manu, pinguissimam ficedulam inveni piperato vitello circumdatam.

lexique

 audio, is, ire, iui, itum : entendre circumdo, as, are, dedi, datum : entourer conuiua, ae, m. ou f. : invité(e), convive debeo, es, ere, ui, itum : devoir hic, adv. : ici inuenio, is, ire, ueni, uentum : trouver manus, us, f. : main nescio quid boni : quelque chose de bon pinguis, e : gras pinguis, e : gras piperato : poivré putamen, inis, n. : coquille sum, es, esse, fui : être ; en tête de phrase : il y a uetus, ueteris : vieux uitellus, i, m. : le jaune d’oeuf ficedula,ae, f : becfigue persecutus : ayant percé
  1. Deuxième énigme (XL Sq)

Nous ne savions pas à quoi nous attendre quand un grand bruit se fit hors de la salle. Et aussitôt des chiens de Laconie s’y précipitèrent en courant autour de la table. A leur suite venait un plateau sur lequel se carrait un sanglier de la plus forte taille (). Il était coiffé d’un bonnet d’affranchi, et de ses défenses pendaient deux corbeilles, en branches de palmier, pleines, l’une de dattes de Syrie, l’autre de dattes de la Thébaïde. Il était entouré de marcassins, faits de pâte cuite au four qui, comme tendus vers les mamelles, indiquaient que c’était une laie. Nous fûmes autorisés à les emporter. ()                 Pour dépecer ce sanglier, ce ne fut pas ce Coupez qui avait servi les volailles qui se présenta, mais un barbu très grand, aux jambes entourées de bandelettes et portant un habit de chasseur. Tirant son couteau de chasse, il en donna un grand coup dans le flanc du sanglier : par la plaie béante sort un vol de grives. Des oiseleurs étaient là avec des gluaux qui, en un instant, s’emparèrent des oiseaux volant autour de la salle. Trimalcion en fait donner un à chacun de nous, et il ajoute : « Voyons un peu de quelle sorte délicate de glands se nourrissait ce gourmand. » Aussitôt des esclaves s’emparent des corbeilles suspendues aux défenses et distribuent par portions égales les dattes de Syrie et de Thébaïde aux soupeurs.

Hic aper, cum heri summa cena eum vindicasset, a conviviis dimissus <est>; itaque hodie tamquam libertus in convivium revertitur. »

lexique

 aper, apri, m. : sanglier cena, ae, f. : cène, repas du soir dimitto, is, ere, misi, missum :renvoyer, laisser partir heri, ou here, inv. : hier libertus, i, m. : affranchi reuerto, is, ere, i, sum : retourner, revenir tamquam, adv. : comme, de même que, pour ainsi dire; tamquam si : comme si uindico, as, are : revendiquer, réclamer

D. Des énigmes, encore des énigmes !

1. L’affranchissement de l’esclave (LXI)

Pour bien comprendre cette anecdote, retenez que Bacchus a bien des noms : Dionysos, Bromius, Lyéus, Evius et Liber Pater.

Un très bel esclave, couronné de pampre et de lierre, et se donnant tour à tour les noms de Bromius, de Lyéus ou d’Evius, enfin tous les noms de Bacchus, portait à la ronde des raisins dans une corbeille, tout en chantant d’une voix suraiguë des vers du maître. Trimalcion lui dit :

« Dionyse, inquit, liber esto. » Puer detraxit pilleum apro capitique suo imposuit. Tum Trimalchio rursus adiecit: « Non negabitis me, inquit, habere Liberum patrem. »

lexique

adicio, is, ere, ieci, iectum : ajouter aper, apri, m. : sanglier caput, itis, n. :1. la tête detraho, is, ere, traxi, tractum : tirer, enlever ego, mei : je esto, imperatif futur de esse : soit! habeo, es, ere, bui, bitum : avoir impono, is, ere, sui, situm : placer sur, assigner, imposer inquit, vb. inv. : dit-il, dit-elle inquit, vb. inv. : dit-il, dit-elle liber, era, erum : libre nego, as, are : nier non, neg. : ne…pas pilleus, i, m. : pilleus, bonnet d’affranchi puer, eri, m. : enfant, jeune esclave rursus, inv. : de nouveau, au contraire suus, a, um : adj. : son; pronom : le sien, le leur tum, adv. : alors pater, tris, m. : père, magistrat

2. Le cuisinier distrait (XLIX)

On servit un énorme porc sur un plateau qui occupa toute la table (). Nous nous récrions sur la diligence du cuisinier ; nous jurons qu’il n’y avait pas eu le temps de rôtir un poulet… Et ce d’autant plus que ce porc cuit nous paraissait beaucoup plus grand qu’un instant avant le porc vivant (). Mais voilà que Trimalcion le scrute d’un regard qui se fait de plus en plus sévère : « Comment, comment, on ne l’a pas vidé ? Ma parole, il l’a oublié. Vite, vite, ici le cuisinier ! » Le pauvre diable avance et avoue qu’il a oublié… « Comment, oublié ? crie Trimalcion. On croirait à l’entendre qu’il a seulement négligé le poivre ou le cumin : Habit bas ! » Cela ne traîna pas. Le cuisinier est dépouillé et remis, désolé, entre les mains de deux bourreaux. Nous nous interposons, nous supplions : « Cela arrive souvent : Laissez-le, pour aujourd’hui. S’il recommence, personne ne prendra plus son parti… » Quant à moi, qui suis sans doute bien féroce, je ne pus me retenir de dire à l’oreille d’Agamemnon : « Je trouve que voilà un bien mauvais esclave. Néglige-t-on de vider un porc ! Pour ma part, je ne lui pardonnerais pas même d’oublier de vider un poisson. » Tel ne fut pas sans doute l’avis de Trimalcion, car, se déridant subitement, il s’écria gaîment : « Eh bien, puisque tu as si mauvaise mémoire, vide-le au moins maintenant devant nous.»

Recepta cocus tunica cultrum arripuit, porcique ventrem hinc atque illinc timida manu secuit. Nec mora, ex plagis ponderis inclinatione crescentibus tomacula cum botulis effusa sunt.

lexique

ex, prép. : + Abl. : hors de, de arripio, (arr-) is, ere, ripui, reptum : 1. saisir at, conj. : mais atque, conj. : et, et aussi botulis : saucisses cocus, i, m. : cuisinier cresco, is, ere, creui, cretum : croître culter, tri, m. : couteau effundo, is, ere, fudi, fusum : répandre, disperser hinc, adv. : d’ici illinc, adv. : de là, par là inclinatio, ionis, f. : le penchant inclinatio, ionis, f. : le penchant manus, us, f. : main, petite troupe nec mora : et sans attendre plaga, ae, f. : blessure pondus, eris, n. : poids porcus, i, m. : porc recepto, as, are : eprendre seco, as, are, secui, sectum : couper timidus, a, um : craintif tunica, ae, f. : tunique uenter, tris, m. : le ventre tomacula : boudins

Une réflexion au sujet de « Lucien et Pétrone, morceaux choisis pour une séquence sur le « roman » antique au lycée »

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