À Monsieur le Président de la République
Palais de l’Élysée
Paris
Bordeaux, le 26 septembre 2015
Monsieur le Président de la République,
C’est en tant que citoyens que nous nous adressons à vous au sujet du sort réservé aux langues anciennes dans la réforme des collèges qui doit rentrer en vigueur à la rentrée 2016.
Nous avons compris, dès le mois d’avril, que l’on voulait se débarrasser de ces langues : leur absence dans le nouveau socle commun et dans le premier projet de programmes en était la preuve.
On a voulu laisser croire que ces enseignements étaient obsolètes et strictement élitistes, à l’encontre de toute vérité : la consultation des programmes depuis de très nombreuses années montre que loin de se cantonner à des déclinaisons et à des conjugaisons, les cours de Langues et Culture de l’Antiquité (LCA) cherchent à relier une maîtrise des langues française et anciennes avec des éléments solides de civilisation pour s’ouvrir au monde moderne. Par ailleurs, le cours est ouvert à qui le veut, riche ou pauvre, premier ou dernier de la classe, dans tous les établissements de France.
On a paradoxalement aussi voulu faire croire que la réforme ne toucherait que peu ces langues anciennes : la perte de trois heures d’enseignement sur le cycle 4 montre le contraire. Et ce ne sont pas les Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI) qui viendront combler ce manque : les quelques propositions que l’on a pu voir, notamment dans le dernier projet de programme annoncent, de manière caricaturale, ce à quoi on veut réduire ces enseignements. Comment comprendre en outre qu’ils soient « interdisciplinaires » alors que tout est fait pour nier le statut de disciplines au latin et au grec, même sous la forme d’un enseignement de complément ? On note ainsi le mépris affiché pour ces langues par leur absence dans le socle commun, mais aussi dans le projet de programmes présenté à Madame la Ministre le vendredi 18 septembre. Sont-elles donc indignes au point que l’on ne puisse annoncer leur programme en même temps que les autres, ou doit-on comprendre qu’elles ne méritent qu’on s’y intéresse qu’une fois les « vraies » disciplines pourvues ?
Vouloir amoindrir les conséquences de la disparition de ces langues est à l’heure actuelle criminel : seule une maîtrise des langues et civilisations antiques permettent de bien comprendre notre monde actuel, —et c’est ce qu’en particulier les derniers programmes de 1998 et de 2009 soulignaient, ainsi que les différentes rencontres « Langues anciennes, mondes modernes », organisées naguère par le Ministère de l’Éducation Nationale — ; leur ignorance empêche une réelle et fine compréhension de toute notre littérature, jusqu’après 1945 pour le moins, tout comme une compréhension et un usage précis de notre langue. Comment comprendre ce rejet de ce qui nous est constitutif, de ce qui fonde et illumine nos cultures, nos politiques, nos langues ?
Nous sommes particulièrement surpris que ceux-là même qui ont été formés à cette école de l’Antiquité ne souhaitent pas voir ces enseignements perdurer et être offerts au plus grand nombre, comme c’est le cas actuellement. Seules quelques « élites » dans certains établissements pourront en effet poursuivre l’apprentissage du latin et/ou du grec sous la forme d’un enseignement de complément, bien loin des annonces de généralisation démocratique : nous le savons déjà, pour des raisons pratiques, cette matière, en tant que telle, est condamnée dans les petits établissements, alors que dans les autres elle ne risque de survivre que de façon limitée au regard de ce qui existe. Et mécaniquement cette réduction drastique des effectifs au collège entraînera leur quasi-disparition au lycée et à l’Université. Qui pourra à l’avenir vraiment lire et comprendre par exemple Homère ou Sénèque en France ? Seule une petite élite de privilégiés ?
C’est pourquoi, Monsieur le Président, nous vous demandons de prendre les mesures nécessaires pour que nos enfants puissent, tout comme leurs aînés, avoir accès véritablement aux langues mères de la nôtre, et aux civilisations qui ont construit et qui construisent encore la nôtre.
Nous avons l’honneur, Monsieur le Président de la République, de vous prier d’agréer l’expression de notre très haute considération.
Les membres du Conseil d’Administration de l’Arelabor réunis le samedi 26 septembre 2015.